Désignation des inventeurs et IA
Désignation des inventeurs et IA

Pour obtenir un brevet, il est nécessaire de choisir (« désigner ») un ou plusieurs inventeurs ayant participé à l’invention et ayant fait preuve d’activité inventive. Généralement, une personne dont l’action se résume à poser un problème technique en exprimant des souhaits n’est pas considérée comme inventeur (ex. : « il faut développer une batterie électrique de grande autonomie »). De même, une personne ayant pour seul rôle d’exécuter et de mettre en œuvre une solution technique conçue par un autre ne peut être considérée comme inventeur. Celui ou celle qui apporte une solution technique à un problème technique en faisant progresser l’état des connaissances est un inventeur. Ses connaissances seront mises à la disposition de tous après la publication d’un brevet et seront librement utilisables au terme du monopole conféré par ledit brevet.
En France, en vertu de l’article L.611-7 du Code de la Propriété Industrielle, un inventeur salarié œuvrant dans le cadre d’une mission inventive, lorsqu’il réalise une invention, doit recevoir une rémunération supplémentaire de la part de son employeur. Parfois, plusieurs personnes revendiquent la qualité d’inventeur dans l’optique de bénéficier de la rémunération supplémentaire. Il appartient alors à l’employeur d’établir un distinguo entre les actions de chacun afin de déterminer avec précision le rôle joué par celui ou ceux ayant contribué de manière « effective » à l’invention et qui mérite d’obtenir la rémunération supplémentaire.
Récemment, il a été proposé par un déposant d’une demande de brevet de désigner comme inventeur un algorithme informatique d’intelligence artificielle en lieu et place d’une personne physique. Un tel programme peut-il faire preuve à lui seul d’activité inventive et être considéré, du même coup, comme inventeur ? Est-ce la fin des inventeurs « personnes physiques » et des difficultés liées à l’attribution des rémunérations supplémentaires ?
Dans les faits, M. THALER a déposé une demande de brevet international WO2020079499A1 en désignant comme inventeur un algorithme informatique d’intelligence artificielle dénommé DABUS.
De manière simplifiée, l’invention concerne une canette pour boisson dont la surface possède une épaisseur constante et un profil fractal comportant plusieurs saillies et cavités permettant à plusieurs canettes de coopérer lors de leur conditionnement. Cette caractéristique faciliterait par ailleurs la préhension d’une canette par un utilisateur.
Selon M. THALER, c’est l’algorithme DABUS qui serait à l’origine du profil fractal, raison pour laquelle seul DABUS est désigné comme inventeur.
La demande de brevet n’indique pas comment l’algorithme DABUS est parvenu à l’invention. S’il a été donné pour instruction à l’algorithme DABUS de déterminer le meilleur profil d’épaisseur constante permettant la meilleure coopération de formes lors du conditionnement et offrant une meilleure préhension par un utilisateur, une grande partie de l’activité inventive a été fournie à l’algorithme DABUS lorsque la question lui a été posée par une personne physique.
En effet, pour améliorer la préhension d’une canette ou son conditionnement, il existe différentes solutions, par exemple, en apposant une matière collante sur la canette, en prévoyant des poignées sur chaque canette, etc. Choisir de modifier uniquement la surface de la canette est, en soi, un choix inventif (mais, sans doute insuffisant pour être brevetable).
De plus, les limites de calcul de l’algorithme informatique d’intelligence artificielle pour la définition du profil (épaisseur de paroi calibrée, variation calibrée du relief, etc.) sont autant de paramètres qui, bien qu’ils participent à l’activité inventive, ont été renseignés, en amont, par une personne physique à l’algorithme DABUS (par exemple via un procédé d’apprentissage avec l’apport d’instructions judicieusement choisies par une personne physique).
Un algorithme d’intelligence artificielle permet, de manière experte, d’élaborer des solutions répondant à des questions complexes en tenant compte de paramètres variés. En pratique, définir la question posée ainsi que les paramètres associés est primordial, car ce sont ces éléments qui permettront d’obtenir des solutions pertinentes. Enfin, le choix par une personne physique d’une solution parmi un panel de propositions pertinentes déterminées par l’algorithme relève également de l’activité inventive.
L’intelligence artificielle est en mesure de relever de nombreux défis, mais pour autant son « intelligence » se limite au champ de la question qui lui est posée. En 2013, une intelligence artificielle développée par Carnegie Mellon University a été conçue pour ne pas perdre au jeu Super Mario Bros® (ce qu’elle fait avec succès sur le premier niveau). Confrontée au jeu Tetris®, cette même intelligence artificielle ne tente pas de réaliser des lignes ; elle se contente de mettre le jeu en pause afin de ne pas perdre… Cet exemple démontre que la question posée et les paramètres associés conditionnent grandement la solution déterminée par un algorithme d’intelligence artificielle afin de parvenir à une solution effective.
Les algorithmes d’intelligence artificielle occupent une place importante dans l’élaboration des inventions, néanmoins, la contribution des personnes physiques chargées d’alimenter et d’utiliser lesdits algorithmes ne doit pas être minimisée ou niée. Les propositions formulées par l’AIPPI en 2020 nous semblent encore tout à fait pertinentes.
Dernièrement, les juridictions concernées (USA, UK, EP) par l’invention de M. THALER ont majoritairement refusé la qualité d’inventeur à l’algorithme DABUS à l’exception de l’Afrique du Sud. Les décisions ne stipulent pas si l’algorithme DABUS avait demandé à être désigné comme inventeur ou exigé une rémunération supplémentaire…